Lorsqu’on est entraîneur, à partir de quel moment commence-t-on à penser aux Jeux ? Et qu’est-ce qu’on ressent à mesure qu’approche l’échéance ?
On y pense régulièrement longtemps avant l’échéance mais il faut se mettre à la place de l’athlète qui veut réaliser son rêve olympique et se concentrer sur ce qu’il doit faire pour progresser. Par conséquent j’ai toujours évité de trop évoquer les JO car cela pourrait leur mettre une pression supplémentaire. Ils en ont suffisamment par les médias, leurs proches ou les structures dans lesquelles ils s’entraînent; alors, il ne faut pas en rajouter. Pour un athlète comme Teddy RINER, l’or olympique était envisagé depuis longtemps par conséquent, il fallait davantage préparer sa carrière dès son entrée à l’Insep en 2004 afin d’atteindre l’or 8 ans plus tard. J’ai tout mis en œuvre pour que cela se produise… et souvent au détriment de mes proches mais grâce aux personnes qui m’ont entouré: les entraîneurs fédéraux, les attachées de presse, Elisabeth et Laurence, Pierre son responsable d’étude de l’Insep, Paulette pour le suivi socio professionnel, Franck, qui était mon adjoint pour les junior et qui est son référent aujourd’hui, Alain, Serge et Christian ses coaches de clubs, Yann le préparateur physique et tous ceux qui ont participé à sa réussite sans oublier le plus important : ses parents et sa famille. J’ai depuis compris combien il est important de s’entourer des bonnes personnes pour devenir performant, créer du lien entre ces derniers pour rendre le système efficace. C’est ce que je fais (mieux) aujourd’ hui grâce à Sport Management System, la structure que je représente. L’expérience « Teddy RINER » a été un modèle pour mes actions que je mène aujourd’ hui.
Lorsque les JO approchent, le ressenti est qu’il existe un intérêt de plus en plus important du monde sportif, économique, médiatique et politique. Cette compétition hyper médiatisée suscite l’intérêt de tous, ce qui est en quelques sortes une chance pour notre sport mais il a fallu veiller à ce que les athlètes ne se perdent pas et restent en quelques sortes concentrés sur leur travail ; il a donc fallu cadrer cela le plus efficacement possible et être parfois intransigeant.
Je ressens aussi les JO comme LA fête du sport mondial ; ce n’est pas forcément le cas lorsqu’on est patron d’équipe compte tenu du travail important à effectuer, cependant j’étais heureux de m’en approcher.
Comment prépare-t-on ses judokas aux JO, techniquement, physiquement, et psychologiquement ? L’approche est-elle différente de celle des autres compétitions ?
Je n’ai pas eu une approche particulièrement psychologique avec les athlètes de mon équipe contrairement à aujourd’hui où j’évolue un peu dans ce sens. Cependant je les ai préparés à ce qui les attendait tant sur le plan sportif que logistique. J’ai cependant toujours pensé que les actes étaient plus efficaces que les paroles, donc le terrain a toujours pris le pas sur la parlotte. Je suis récemment intervenu pour NHK, la TV Japonaise qui m’a demandé de coacher de jeunes japonais et trouver des solutions pour développer leur mental et leur créativité ; je me suis appuyé sur des outils de terrain que j’avais employé auprès des différentes disciplines que j’ai entraîné depuis 2012 et cela a fonctionné. On réalise souvent de la préparation mentale sans que l’athlète ou nous-même ne nous en rendions compte. Le physique est également très important dans le sport moderne qui s’est intensifié et professionnalisé. C’est la raison pour laquelle j’ai fait appel à Yann, un préparateur physique de confiance dès que j’ai été nommé début 2009. L’équipe féminine a fait de même un an après. Yann suit encore aujourd’hui Teddy RINER, l’objectif est de développer les qualités physiques mais aussi de prévenir des blessures. Je sais aussi que physique et mental sont très liés ; le cerveau commande mieux un corps en forme que l’inverse. Sur le plan technique, j’ai continué, grâce à mon équipe à travailler et perfectionner les points forts afin qu’ils arrivent à maturité lors des JO. Une nouvelle combinaison technique peut mettre un avant d’être exploitable en compétition; il faut par conséquent la travailler, l’explorer, l’affiner et ensuite vérifier son efficacité auprès de différents adversaires lors des compétitions de niveau inférieur. Le mieux est d’arriver avec une nouvelle combinaison sur chaque grand championnat. Pour les JO, on ne s’est pas risqué d’essayer des nouveautés car il s’agissait de réaliser ce qu’on sait faire de mieux mais toujours avec une touche de lucidité et d’opportunité afin de surprendre l’adversaire. La volonté et la détermination font le reste, c’est pour cela que cette compétition est particulière et que certains se subliment et d’autre, à l’inverse, se liquéfient. Malheureusement, pour préparer les JO de 2012, je n’ai eu réellement que 2 ans et demi car 2009 était déjà entamé lorsque j’ai repris l’équipe séniors et j’ai fait le choix de ne rien changer de la programmation jusqu’aux championnats du monde de 2009 à Rotterdam à mon arrivée; d’ailleurs, les stages d’été m’avaient paru bien longs pour une phase terminale de préparation. Enfin, 6 mois avant les JO, on se doit de peaufiner ce qui est déjà en place et ne rien inventer à la dernière minute, sauf éventuellement sur le plan tactique où la connaissance tardive de ses adversaires permet d’affiner des solutions.
En 2012, Teddy RINER est annoncé grand favori de l’épreuve. Est-ce que ça augmente la pression au moment de la préparation ? Comment, en tant que coach, vous l’avez aidé à gérer ce statut à l’approche des Jeux ?
La difficulté concernant Teddy RINER a été de gérer l’environnement. Au début de notre aventure j’étais coach, ensuite, sa notoriété grandissante, j’étais toujours coach mais aussi et surtout manager sportif afin d’ajuster et programmer aussi ses contraintes extra-sportives autour de son calendrier sportif. Sa planification sportive a toujours été la priorité et j’ai fait en sorte que rien ne puisse la perturber, sans compter que beaucoup de personnes voulaient aussi devenir son coach. La gestion de Teddy, c’était 24h/24 avec une partie visible (le terrain) et une partie invisible (la planification), à faire chez soi, en vacances (lorsqu’il y en avait) ou dans les transports pour organiser et planifier l’emploi du temps. Lorsque les JO approchent et qu’on est hyper-favori, cela peut-être un piège ; on doit être extrêmement vigilent sans pour autant mettre une trop grosse pression à l’athlète; il faut tout simplement continuer à « vivre ». Le coach ne doit pas changer d’attitude parce qu’il s’agit des jeux olympiques tout en protégeant l’athlète de trop de sollicitations. Autre règle : ne pas se reposer sur un probable résultat « acquis d’avance » et penser qu’il y a toujours plus fort que soit pour s’obliger à encore progresser. Il n’existe pas de « statut » dans le sport de très haut-niveau car tout est remis en question dès la compétition suivante. Préserver l’athlète c’est le protéger de toute victoire acquise d’avance. J’ai beaucoup martelé cela avant 2012. Cependant, je n’ai été qu’une pierre à l’édifice, beaucoup d’autres ont aussi fait énormément pour lui.
Vous-même, avez-vous senti le stress monter à l’approche des JO ? Quels étaient vos sentiments ? Confiance en vos athlètes et le travail effectué, ou pression de l’évènement et de ses enjeux qui approchent ?
Je ne pense pas avoir ressenti de stress, notamment celui lié au résultat. De plus, c’était ma dernière compétition de judo et je connaissais déjà mon avenir. Je suis heureux que mon départ se soit fait sans heurts (je l’avais annoncé 3 ans avant). Ainsi, l’équipe qui m’a succédé a pu préparer les JO de Rio sur 4 ans et non 3 ou 2. Pour préparer Londres, l’organisation en amont a été assez lourde et m’a donné du fil à retordre pour que tout se mettre en place dans les détails car sur place au dernier moment cela aurait été difficile. Concernant les athlètes, oui j’avais confiance en eux car j’ai toujours considéré que si on n’a pas confiance, on ne les emmène pas. Alain Schmitt a, malheureusement perdu contre un Argentin, Sofiane MILOUS et Thierry FABRE, 5èmes auraient pu tirer leur épingle du jeu mais la différence entre une 5ème place et un podium, peut-être très mince et très grande à la fois. J’ai regretté l’échec de David LAROSE ; il ne pourra malheureusement pas défendre ses chances pour Rio. Romain BUFFFET, quant à lui a fait de son mieux après une opération du rachis lombaire quelques mois auparavant. Ugo LEGRAND a été brillant comme souvent et mentalement très fort notamment pour aller chercher la médaille de bronze ; quant à Teddy RINER, tout le monde connait le résultat.
En 2012, comment faites-vous pour gérer l’ensemble de l’équipe, le groupe, avec des objectifs et des ambitions différentes selon les athlètes ?
La réponse est que n’ai heureusement pas géré le groupe seul, j’étais entouré d’une équipe très impliquée : Jean-Pierre, Jérôme et Philippe, qui étaient chacun référents de certains athlètes mais en même temps étaient en charge de dossiers comme le suivi médical pour Jean-Pierre ou la préparation physique pour Jérôme (lui-même en lien avec Yan); chacun gérait, centralisait les informations et rendait compte. Je me suis servi de ce modèle plus tard pour conseiller d’autres fédérations avec qui je travaille car plus il y a de strates dans un système, plus l’organisation doit être efficace. Nous avions la chance à la Fédération Française de judo d’avoir des services efficaces et compétents comme le service médical : kinésithérapeutes et médecins, un service vidéo efficace et une structure solide comme l’Insep avec tout ce que cela implique comme avantages.
Lorsque le titre olympique est bout, comme en 2012 avec Teddy Riner, qu’avez-vous ressenti comme émotions ? C’est différent de ce que vous avez pu ressentir en tant qu’athlète ?
Les émotions sont différemment vécues lorsqu’on est athlète et coach. En tant que coach, on est « au service de l’autre» donc on doit préparer, organiser, manager. A la fin des JO, on est souvent sur les rotules et content que ça se termine. J’ai eu d’immenses joies mais un regret, c’est que l’équipe se soit dispersée dès la fin de la compétition. A la décharge des athlètes, nous n’avions pas prévu de regroupement. La proximité de la France, des familles ou amis peut l’expliquer aussi, tout comme c’était le cas à Barcelone en 1992. Afin de réparer cela, j’ai préparé à titre personnel une soirée comprenant les athlètes et le staff courant Septembre 2012 mais j’ai dû malheureusement annuler pour cause de grand-prix F1 avec l’écurie Lotus et Romain Grosjean.
Je me souviens que lorsque la compétition Olympique a été terminée et que nous sommes rentrés en bus avec Teddy et Jean-Marc, le médecin, on a revu notre parcours depuis le début en cadet ; je lui ai dit : « j’ai été dur avec toi » et il m’a répondu « c’est ce qu’il fallait ! ». L’olympiade et ma carrière de coach (Français) s’est, en quelques sortes, terminée sur ces mots.
Article réalisé par LESPRITDUJUDO