L’Equipe du lundi 20 Août 2012: « Campargue, la mécanique du champion » – C.Capitaine

L'Equipe "Campargue, la mécanique du champion"

L’Equipe « Campargue, la mécanique du champion »

Entraîneur de Teddy Riner, conseiller de Romain Grosjean, Benoît Campargue explique l’alchimie entre sport de combat et sport mécanique.

« ON M’A SOUVENT DIT que si j’avais arrêté la moto en 1992, j’aurais fait une médaille aux JO de Barcelone. Moi, je ne le crois pas. » L’accent (de Lugan, dans l’Aveyron) est certes chantant, mais le ton claque, déterminé. Équilibré. Entre ses deux passions, la moto et le judo, Benoît Campargue (47 ans), n’a jamais hésité. Il a choisi. En 1991, quand il fait du surplace en judo (qu’il pratique depuis l’âge de huit ans), il opte pour une saison complète en Championnat de France Promosport au guidon d’une Suzuki 750, avec son équipe privée. Encouragé par une victoire aux 100 Km de Paris en 1990, et par les conseils de copains motards, dont Christophe Guyot (vainqueur des 24 Heures du Mans 2001 et patron aujourd’hui du team GMT 94). « J’ai prévenu la Fédération de judo que ma priorité, c’était la moto, mais que je restais à sa disposition si je pouvais rendre service. Jean-Luc Rougé (alors DTN et actuel président de la Fédération de judo, passionné luimême de sports mécaniques) a été compréhensif. Aujourd’hui, compte tenu du nombre de tournois, ce serait impossible. » Résultats (à l’époque) : un podium au circuit Carole, une sixième place au Championnat Promosport 1992 (malgré quelques forfaits en raison de tournois), un titre de champion d’Europe de judo (- de 65 kg) à Paris, la même année, et une sélection olympique pour les Jeux de Barcelone. Paradoxal ? « Pas du tout », pour Campargue, qui a mis un terme à sa carrière moto en 1995, après s’être frotté durant deux saisons au Superbike. En 1997, au sortir de deux saisons de compétition de… jet-ski, il prend en main l’équipe de France juniors de judo. Depuis 2009, il dirige les seniors. En 2011, quelques jours avant le titre mondial de Teddy Riner à Bercy, Campargue, qui est son entraîneur et l’accompagne au bord du tatami, fonce au circuit Carole, dans la région parisienne. Après onze ans d’abstinence moto, il remonte en selle. « Pour une après-midi ! Pour prendre un bol d’air. J’avais besoin de la vitesse, de cet te adrénal ine. De prendre des risques, d’être sur le fil. » Ses résultats comme entraîneur s’enchaînent. Coïncidence ? Pas si sûr…
L’ENNEMI, C’EST LA CHUTE

Sur deux roues en circuit, ou debout sur un tatami, le sportif redoute la même chose : la chute. « En judo, comme en moto, si tu glisses, tu as perdu, tu ne dois pas tomber, explique Campargue. Au momentdu combat ou de la course, le judoka commele motard se retrouve en bagarre, seul. Il leur faut les mêmes aptitudes de mise en route, de réactivité. Chez tous les grands champions, cette qualité est intrinsèque : ils savent passer très rapidement du off au on et inversement. Cela peut se travailler, mais c’est une qualité de base. Pour s’imposer, il leur faut prendre les bonnes décisions au bon moment en très peu de temps. S’ils se trompent, ça peut être fini pour eux.
LE JUDO EST UN MOTEUR

Utilisant sa propre expérience, Campargue formule ainsi les atouts du judo : « Pratiquer un sport athlétique permet d’avoir une préparation physique au top. Ce qui n’était ou n’est pas toujours la priorité en sports mécaniques. Je n’étais pas un très grand pilote. Je n’ai pas roulé en MotoGP, je n’ai pas gagné de Championnat, j’ai juste fait 6e ou 8e en Superbike. » En octobre 1992, il dispute le Guidon d’Or au circuit Carole, mélange d’asphalte et de terre, face à Stéphane Peterhansel (dix fois vainqueur du Dakar), Jean-Michel Bayle (plusieurs titres de champion du monde motocross, et champion américain de motocross, vainqueur du Bol d’Or et des 24 Heures du Mans), John Kocinski (champion Superbike), Wayne Gardner (champion du monde 500), et autre Mick Doohan (5 titres de champion du monde 500). « Je n’ai pas fini cette course. Je souffrais toujours de l’épaule (*). Je dois dire que mon agilité, due au judo et à la pratique d’un sport de combat, me permettait d’être très agressif. Je n’avais pas du tout un style coulé. Je bougeais la moto, j’appréciais la castagne, j’aimais les dépassements, les contacts. J’étais un gros freineur… »
LA MOTO, UNE FORCE MENTALE

Sport individuel qui nécessite le collectif pour s’entraîner, le judo est une bulle protectrice et solidaire. En 1991, Campargue doit éprouver son autonomie pour monter sa structure en moto. « Sur le moment, cela m’a permis de penser à autre chose qu’au judo et surtout de prendre en compte énormément de paramètres en plus de l’entraînement, comme la gestion, l’organisation, la recherche de budgets… Et pour ma fonction d’entraîneur, cela m’a donné des premières notions de planification. » Autre vertu « thérapeutique » du deux-roues : désacraliser la chute sur tatami, en relativiser les conséquences : entre le gadin sur goudron à 200 km/h et le choc dans le dojo, la peur et la douleur n’ont pas les mêmes amplitudes. De quoi juguler, voire annihiler, l’appréhension du judoka. Et puis, pour Benoît Campargue, le circuit porte en lui une symbolique forte : une ligne de vie qui amène à croire en son destin et en soi. Sous le casque, plus question de gamberger sur l’éventuelle casse mécanique ou l’erreur de pilotage d’un autre. Savoir gérer, voire oublier, les aléas extérieurs constitue une indéniable qualité mentale utile dans tous les sports.
(*) En 1992, il avait chuté, notamment lors du Bol d’Or. En pleine ligne droite, alors qu’il venait de prendre son relais, il n’a plus eu de freins à plus de 240 km/h.