paru sur SPORT.FR et rédigé par Michael BALCAEN – 29 AVRIL 2020
Entraîneur de Teddy Riner de 2003 à 2012 pour son premier titre olympique, Benoît Campargue a réussi un tour de force avec un groupe qu’il a su façonner. Avant de partir sous d’autres cieux en F1 (avec Romain Grosjean), en moto puis dans une sphère non sportive pour aider les jeunes en difficultés avec pass’sport pour l’emploi notamment. Il nous donne les clés d’un management gagnant.
Comment gère-t-on une équipe avec des profils forcément différents ?
Pour créer une équipe, c’est du management, une anticipation et une prise de risques très importante. Il faut privilégier l’équipe avant l’individu même si les tendances de vie moderne privilégient l’individu au détriment du groupe. Il faut parfois faire différemment mais en privilégiant l’équipe. Ensuite, il y a l’individualisation de l’entraînement mais c’est encore autre chose mais il y a des erreurs à ne pas commettre, notamment la gestion des « hyperchampions ».
Et avec l’équipe de France, l’hyperchampion, c’est Teddy Riner !
Oui, mais Teddy émerge d’un groupe hyperperformant. Il a éclos d’un groupe très performant avec Ugo Legrand, Cyrille Maret, Mickael Remilien, Axel Clerget tous ont été champions d’Europe ou champions du monde juniors, séniors ou médaillés olympiques. Cette prise de risques de départ pour constituer une équipe consistante et dense, ça a accouché d’hyperchampions comme Teddy Riner. Ce n’est pas non plus un hasard, l’environnement a aussi été très positif.
Et tous n’ont pas suivi le même chemin avec Ugo Legrand qui a arrêté pour monter une structure, Axel Clerget médaillé mondial plus tard ou Cyrille Maret en course pour un billet olympique…
La réussite n’est pas que sportive, on fait le bilan à la fin d’une carrière, à la retraite ou plus tard. Qu’est-ce qu’on a fait de sa vie, comment on l’a utilisée pour la société ? Les besoins sociétaux sont très importants. On est sur terre pour rendre service aux autres, à travers sa carrière d’abord, ensuite c’est encore une autre histoire. Ils ont tous eu un parcours différent. Quand on est athlète de haut niveau, on est dans un silo, on n’a pas forcément une ouverture sur le reste du monde. Je suis très heureux et aussi satisfait de la réussite professionnelle en post-carrière que de la réussite sportive pure et dure.
« Teddy était arrivé en retard devant la presse, il n’est pas monté sur le tapis »
C’est un groupe que vous avez pris très jeune, est-ce que cela avait été bien perçu ?
J’ai créé ce groupe en 2003, tout le monde m’a dit, ils sont trop jeunes, tu vas les casser. J’ai toujours veillé à ce qu’on travaille sur du long terme, y compris avec Teddy puisque c’était le plus jeune mais ma réussite c’est de les avoir tous amenés à un titre mondial, européen et parfois olympique et qu’après, ils aient réussi dans leurs études. Ils ont tous eu le bac en 2006 et été médaillés européen ou mondial juniors.
Etait-ce pour préparer un double projet ?
Le double projet est utopique en théorie, dans la façon dont il est présenté. C’est-à-dire que quand on est sportif de haut niveau, il faut mener de front les études et une carrière professionnelle, ce n’est pas tout à fait comme ça que ça se passe. Quand j’ai amené cette équipe en stage dans d’autres pays comme au Japon, sur une longue durée, j’avais amené avec moi un étudiant en Polytechnique qui leur donnait des cours sur place. Ça a duré jusqu’en 2006, après quand ils sont entrés dans un circuit professionnel seniors, il a fallu mettre les bouchés doubles sur le plan sportif et ça a été plus compliqué de faire des études. Certains l’ont fait mais en demi-mesure, tout en se consacrant à 100% au projet sportif mais, le double projet comme il est présenté : je réussis dans les études et dans le sport en même temps comme c’est présenté, c’est très rare et ce n’est pas forcément la réalité.
Pour en revenir à Teddy Riner, comment fallait-il le gérer ?
Teddy, c’est le nez au milieu de la figure. Mais j’ai toujours considéré qu’il fallait avoir les mêmes règles à partir du moment où elles sont justes. Une fois que les règles sont posées, l’indicateur principal, pour moi c’est la notion de progrès. Mes critères de sélection ont toujours été basés là-dessus. Teddy en faisait partie. Je me souviens d’une journée en conférence de presse où il était attendu par les médias, il a eu 30 secondes de retard et il n’était pas remonté sur le tapis. Tout le monde avait été offusqué de ça mais ça aurait été Teddy ou le 3e Français, c’était la même règle. Pour cette partie en tout cas.
Il y a tout de même eu des particularités ?
Il a eu des aménagements particuliers parce que son emploi du temps, lié à sa gestion de carrière, était particulier. Je me tapais ses plannings de la semaine qui étaient particuliers avec les partenaires, les sponsors et des choses personnelles. C’était un aménagement propre parce que c’était un champion qui sortait de la norme et surtout parce qu’il était jeune et que je le savais promis à une longue carrière. Dans ce schéma, la préparation physique, j’ai récupéré un gars qui faisait deux mètres, on me demandait pourquoi je ne le mettais pas sous les barres, je répondais parce qu’il faut d’abord faire les fondations, ensuite seulement on verra pour les murs et le toit ! C’était particulier mais dans le collectif.
Il y avait aussi une équipe autour de lui avec Pierre Thomas pour les études (si ça n’allait pas pour les études, il y avait une sanction sur le tapis), Elisabeth Emery pour la presse. Et pour tout ce groupe, on était main dans la main avec les parents.
« J’ai fait faire du judo à Romain Grosjean, ça a permis de débloquer des choses »
La notion de collectif reste donc la base, même en judo ?
Le judo paraît très individuel mais c’est un sport d’équipe à part entière parce que ce sont les partenaires qui vous rentrent dedans qui vous font progresser.
En ce sens, les stages sont primordiaux ?
Oui, surtout pour les gens à forte notoriété. Quand j’ai pris Romain Grosjean, dans ce nouvel environnement, personne ne connaissait Teddy Riner et aujourd’hui, je ne suis pas sûr. C’est un athlète qui est très connu dans son pays mais j’ai été étonné que peu de monde ne connaisse Teddy, en particulier au Japon. Il y a une anecdote sur ce sujet, en 2015, NHK (télévision japonaise) m’a fait venir pour entraîner des jeunes Japonais (High School). La première question que je leur ai posée c’était : ‘Est-ce que vous connaissez Teddy Riner ?’ Sur un groupe de 30 judokas japonais, donc passionnés de judo, plus de la moitié ne connaissait pas Teddy Riner. Le judo n’est pas aussi populaire au Japon que ce qu’on veut bien croire en France. Pour en revenir à la question, il est important pour les gens de notoriété publique de les amener en stage pour les sortir du quotidien et de la pression en lien avec la notoriété et les sollicitations.
Les stages permettent également d’obtenir une opposition plus importante ?
C’est vrai. Les déplacements en stage commando, ce que j’avais fait avec tout ce groupe, notamment quand ils étaient juniors, c’est très formateur. Les boxeurs vont à Cuba, les lutteurs en Géorgie, ils reviennent toujours plus forts qu’avant parce qu’ils ont vécu des choses différentes avec des populations différentes. Et dans le cas de Teddy, une densité de poids lourds plus importante. C’est très clair qu’il fallait aller cherche de l’adversité. Le stage était bénéfique pour toutes les catégories de poids pour la recherche de nouvelle forme de travail. On créé une équipe en créant de l’émotion et ça arrive dans les moments difficiles. C’est lors des déplacements longs qu’on voit qui est qui, qui craque chez les sportifs et les coaches. Mais on se serre les coudes, ça créé aussi un sentiment d’appartenance.
Vous avez aussi travaillé avec des sportifs comme Romain Grosjean en Formule 1, Louis Rossi et Jules Danilo en Moto, quelles étaient les différences en termes de management ?
Quand je suis sorti du judo, je me suis intéressé à autre chose notamment au sport mécanique et j’ai vécu des choses incroyables sur le plan humain et pour la connaissance d’un milieu que je connaissais un peu par la moto. Le professionnalisme m’a beaucoup apporté. J’ai aussi travaillé avec le Losc (club de Ligue 1 de football) à Lille, un super club avec de vraies valeurs et des gens intéressants. Le sport professionnel, c’est une autre sphère avec un autre environnement. Les sports mécaniques et la Formule 1 sont différents du judo mais pour débloquer une situation, j’ai fait faire du judo à Romain Grosjean, et même beaucoup, ça a permis de faire débloquer des choses psychologiquement, grâce au fait de faire des transferts entre des disciplines différentes. Et pour les coaches comme moi c’est pareil, le fait d’avoir capitalisé plusieurs milieux sportifs, professionnels et non professionnels, olympiques et non olympiques, ça m’a apporté des choses incroyables.
Avec sans doute une approche différente en Formule 1 ?
En sport mécanique, elle est très individuelle. C’est un individu au service de l’équipe. En Formule 1, il y avait deux pilotes dans chaque écurie, en l’occurrence Romain Grosjean et Kimi Räikkönen. Ils ne se parlaient pas ou très peu, chaque pilote est très indépendant dans l’équipe. Ils sont là pour conduire une voiture mais c’est l’équipe qui est privilégiée, ce qu’on ne voit pas. Plus de 80 personnes qui se déplacent sur les circuits, 500 à l’usine, quelque part, les pilotes ne sont que les représentants de la performance au sein de l’équipe. Et ça, il faut vraiment l’avoir en tête dès le départ. On ne peut pas faire n’importe quoi. J’étais directeur des équipes de France masculines aux Jeux Olympiques de Londres (2012), quand j’ai rejoint Lotus F1 j’étais un protagoniste et c’est tout. L’approche de l’environnement était très différente.
Quel était votre rôle ?
Je devais individualiser, j’étais en quelque sorte manager sportif pour préparer les pilotes sur le plan physique et aussi un petit peu psychologique. Et quand on a un athlète et pas quarante comme ça a été le cas avant, l’approche est différente même si à termes, on retrouve les mêmes choses, les mêmes peurs, les mêmes tensions, les mêmes façons d’aborder la compétition même si c’est très individuel. En revanche, l’environnement, lui, est complètement différent.
Et après le sport, vous avez monté une société qui fabrique des camions salle de sport et vous aidez aussi les jeunes en difficultés avec pass’sport pour l’emploi.
J’ai toujours voulu être chef d’entreprise et j’ai repris Sport Management System en 2018. J’ai développé le sport mobile qui s’appelle le Shizen sport truck, premier terrain de sport qui se déplace au pied des immeubles et je peux vous dire que s’il n’y pas le sport, et des sports populaires comme le foot, ce sera encore plus compliqué que ça ne l’est aujourd’hui. On intervient dans les entreprises mais aussi beaucoup dans les lycées, on amène les valeurs éducatives du sport avec des champions au travers de ce terrain de sport mobile. Ça répond à un besoin. L’innovation ne vaut que si elle répond à un besoin.
Et pass’sport pour l’emploi ?
Et je suis aussi très fier, Pass’Sport Pour l’Emploi, ce sont mes médailles olympiques, du retour à l’emploi. On arrive à ramener à l’emploi des jeunes qui sont en déshérence, qui n’ont pas à manger et qui ont un CDI en 3 mois. Notre formation permet 100% de retour à l’emploi, grâce au sport. On les recrute avec le sport. Je vous donne un exemple, vous proposez des emplois à des jeunes, ils ne vont pas le chercher. Par contre, vous dites il y a du sport, 75 à 80% vont lever la main. On les forme autour du sport, des soft skills, en plus de la branche professionnelle et à l’arrivée ils ont un métier, un CDI en dehors du sport, ce ne sont pas forcément les métiers du sport.